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29Novembre
Auteur
Armelle Berger

[Interview] Aurélie Daniel : Digitalisation et Voix du Client

Aurélie Daniel, Responsable de l'Offre Ecoute

 

Aurélie Daniel Aurélie Daniel, Responsable de l’Offre Ecoute chez Eloquant, évoque les enjeux et conséquences de la digitalisation sur la gestion de la Voix du Client.

Pour les entreprises, quels sont les principaux enjeux liés à la digitalisation en termes d’écoute client ?

La question est d’autant plus cruciale au vu du contexte actuel. L’écoute digitale peut prendre plusieurs formes et doit répondre à des objectifs déterminés, et ce en fonction d’un parcours client dessiné au préalable. On peut vouloir mesurer l’efficacité de son site en termes d’ergonomie, de présentation des informations, de conversion sur des actes transactionnels à forte valeur ajoutée (formulaire de soumission de devis ou parcours dans le tunnel d’achat pertinent) ou encore de qualité de service à travers des canaux d’interactions de type chat ou autres moyens de selfcare (chatbot, FAQ).

Il s’agit d’abord d’enjeux liés au canal de sollicitation. En termes de dispositif d’écoute en continu sur le canal web, il y a par exemple des pop-up, qui se déclenchent en fonction du comportement de l’internaute. Il faut savoir solliciter au bon moment, pour pouvoir obtenir un taux de réponse maximisé. Ce taux de retour, outre un indicateur clé à suivre de près, est surtout un des objectifs importants à déterminer.

Ce taux dépend de différents facteurs, comme le secteur d’activité de l’entreprise, la cible répondant, le canal utilisé, etc. ll est important de solliciter au bon moment et le bon profil.

 

En quoi la digitalisation permet-elle aux entreprises d’optimiser l’écoute de leurs clients ?

Pour l’entreprise, la digitalisation  répond à un enjeu d’optimisation financière.

En effet, un dispositif d’écoute digital n’engendre pas de coûts variables associés, pas d’appels ou de coûts unitaires de sms à évaluer.  Cela s’avère donc moins onéreux et permet en outre une meilleure maitrise du budget dédié au recueil du feedback client.

Pour le client, les canaux digitaux sont moins intrusifs s’ils sont bien gérés ; cela favorise une participation accrue du répondant et donc un taux de retour maximisé.

D’un point de vue global, il est important de mettre en perspectives les usages des cibles répondants. Il ne faut pas oublier que toutes les générations sont très connectées à leurs mobiles, pas uniquement les jeunes. Cela permet d’être plus en phase avec les usages de tout répondant. Il y a un chiffre à garder en tête : plus de 60% de Français ont un smartphone avec un forfait data.

La digitalisation des canaux de sollicitation a ainsi permis de s’adresser à un grand nombre de clients en simultané, en masse, sans enquêteur et sans paraître trop intrusif.

 

Quelles sont aujourd’hui les solutions innovantes pour améliorer l’écoute client ?

La digitalisation de la Relation Client en général, et des dispositifs d’écoute en particulier a ouvert le champs des possibles.

Les enquêtes ne sont plus forcément figées mais sont devenues conversationnelles. Elles se modulent en fonction d’un verbatim laissé. En effet, lorsque les questionnaires présentent des zones d’expression très ouvertes, le retour client peut être inexploitable. Ainsi, les seuls termes « très bien », ou « RAS » vont être difficiles à analyser. Dans la cadre d’une enquête conversationnelle, si la réponse est insuffisante, on peut reposer des questions pour  obtenir plus de précisions; on  aiguille ainsi le répondant, afin qu’il détaille son propos. Cela se fait plutôt sur le canal web approprié, avec des enquêtes qui se déclenchent en fonction des comportements du client.

Une autre solution qui a le vent en poupe dans les départements clients est, sans conteste, l’analyse du commentaire audio dans le cadre d’enquêtes vocales déclenchées après un appel au service client.  Ce module permet d’exploiter la richesse des commentaires écrits, qu’ils soient sollicités dans une enquête ou spontanés sur le web. Ce type d’analyse est désormais aussi possible pour la voix.

Il s’agit d’une solution innovante d’analyse des commentaires collectés par téléphone, que ce soit à partir d’enregistrements ou en temps réel. Les commentaires et avis clients sont collectés par le canal vocal et leur transcription au format textuel est ensuite exploitée via l’analyse sémantique.

Enfin, le summum de l’innovation en termes d’écoute client sur les canaux digitaux réside dans le fait d’être le plus synchrone possible. Il s’agit de réagir en temps réel à un verbatim qu’un client a laissé, pour mieux le comprendre. De cette façon, il est possible de mapper la connaissance client. L’entreprise va donc déclencher son enquête en fonction du ciblage. Cela passe par des solutions ouvertes, capables de s’interfacer avec un CRM, un ERP, etc… . Il faut ensuite croiser ce que l’on collecte au bon moment, avec des éléments qui seront utiles aux entreprises, sans oublier de collecter ce qu’on ne sait pas, c’est-à-dire chaque information manquante. Par exemple, si je ne connais pas l’adresse d’un client, je profite du fait qu’il réponde à une enquête pour la lui demander, au lieu de revenir vers lui à un autre moment pour lui demander uniquement son adresse. Cela évite de sursolliciter le client.

 

A l’ère de la digitalisation, les clients s’expriment partout, tout le temps. Est-il plus complexe de l’écouter ou est-ce au contraire une source d’information précieuse ?

Le fait que le client s’exprime de plus en plus ne rend pas forcément l’écoute plus complexe. Il faut savoir que la voix du client peut être sollicitée ou spontanée.

Sur les réseaux sociaux, les profils d’établissement Google, les sites de comparateurs d’offres dédiés à un secteur d’activité précis, la voix du client est spontanée. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas exploitable. Il est possible de la faire rentrer dans une plateforme pour l’analyser, ce qui va permettre de regarder ce qui se dit sur différents canaux, et ensuite d’y répondre. Quand une insatisfaction est détectée, il faut recontacter le client. Et sur les profils d’établissement Google ou sur les réseaux sociaux, il ne faut en aucun cas laisser les choses s’amplifier : il faut traiter les commentaires et y répondre correctement, apportant des clés, des solutions. Mais rien ne peut se faire sans la connaissance client. Plus l’entreprise dispose de données ciblées, structurées et fiables, mieux elle peut répondre à ses clients.

 

L’intégration de médias sociaux est-elle nécessaire dans une stratégie d’écoute client ? En quoi ?

Certaines entreprises le font déjà, c’est d’ailleurs un sujet sur lequel je suis en train de travailler en tant que responsable d’Offre écoute chez Eloquant.

On peut difficilement parler de digitalisation en occultant les réseaux sociaux. Intégrer les médias sociaux dans les processus d’écoute apparaît nécessaire, car c’est un lieu d’expression spontanée. Dans le cas de clients mécontents, on relève des comportements de vengeance, destinés à gâcher l’e-réputation de la marque. Il est donc important d’écouter, mais également de reprendre le contrôle de la situation en répondant et en traitant le problème.

 

En quoi est-il nécessaire de gérer l’expression spontanée et non canalisée des clients sur les réseaux sociaux ? Comment s’y prendre ?

Cette expression spontanée doit avant tout être gérée pour éviter le bad buzz, pour éviter les clients qui décrédibilisent le marque sur internet. Aujourd’hui la consultation d’avis est une étape du parcours client à part entière. Les avis négatifs influencent les comportements d’achats. La consultation d’avis influence 73% d’avis et 96% des consommateurs renoncent à un achat quand trop d’avis négatifs sont attribués.

Il est donc essentiel d’analyser les sentiments liés à cette expression, afin d’en déduire des plans d’amélioration. Cela est d’ailleurs vrai pour toute l’écoute client.

 

Avec toutes ces données clients récoltées grâce à une multitude de canaux, les consommateurs craignent souvent que la relation devienne froide et impersonnelle. Comment éviter cela ?

La digitalisation amène le big data. Il y a effectivement une protubérance des informations et des données. Outre les questions de stockage et de fiabilité des données récoltées, la véritable question est : que faire de tout cela et comment bien gérer cette abondance d’informations ? Dans ce contexte, il y a toujours un enjeu de ciblage pour challenger la data récoltée.

Les consommateurs sont exigeants quant à l’utilisation de leurs données, parce que les entreprises récoltent des volumes croissants d’informations, sans que la relation client en soit plus personnalisée. La relation est appauvrie, froide, et fait baisser la confiance des clients envers les marques, ce qui les pousse à se tourner vers la concurrence. Désormais, il faut que les entreprises passent d’une logique « Votre avis compte » à « Votre avis est pris en compte », car c’est ce qu’attendent les consommateurs.

Renforcer l’écoute et la relation passe donc par la personnalisation. Ce sont les données qui vont permettre de pousser cette démarche vers l’hyperpersonnalisation. Plus les entreprises sauront personnaliser, plus les consommateurs finaux auront confiance, et plus les entreprises auront la chance d’obtenir des avis clients sollicités. Si la relation client est améliorée, on assistera parallèlement à une diminution des bad buzz. Mais quoiqu’il arrive, l’écoute client reste toujours nécessaire, même quand la relation est personnalisée.

 

L’écoute client pourrait-elle être entièrement digitalisée ?

Je ne crois pas. Il faudra toujours que les conseillers et leurs managers soient à l’écoute d’un feedback collecté, et qu’un rappel client soit envisagé en cas d’insatisfaction mais aussi de très grade satisfaction. Il faut toujours considérer les enquêtes et autres outils comme des moyens. La finalité c’est la culture client, et c’est ce qui doit rester, l’humain. Il faut s’appuyer sur les outils et le digital pour aller plus vite ; il faut personnaliser grâce à la data, mais la culture client fait partie de l’entreprise et des collaborateurs. La digitalisation doit rendre service à l’humain, en gardant à l’esprit de toujours prendre les bonnes initiatives pour le client.

 

A l’inverse, pourrait-elle se passer de dispositifs digitaux ?

Je ne crois pas non plus, parce qu’on a toujours besoin de sentir et écouter ses clients. Cela passe par le digital pour des questions d’efficacité, de traitement des données et d’automatisation des tâches répétitives.

 

Aujourd’hui, comment concilier, en termes d’écoute, le meilleur du digital et de l’humain ?

Il faut se servir du digital pour écouter au bon moment, de la bonne manière, c’est-à-dire personnalisée, puis contextualiser la sollicitation, puis l’humain va intervenir sur le traitement de la satisfaction détectée. Ce traitement sera propre à sa culture client.

 

Selon vous, quelle entreprise incarne parfaitement la transformation digitale en termes d’écoute client ? Pourquoi ?

Je pense à Orange, pour la partie publication de ses avis online, sur ses pages boutiques et sur les profils d’établissement Google. C’est un bon dispositif. Orange exploite de manière très intéressante les avis de ses clients, en affichant leur ressenti, et en permettant aux managers de répondre à l’avis du client. Ils répondent à l’enjeu de la phygitalisation : une expérience véritable est vécue, transposons-là sur le web pour rendre compte de ce qui se passe dans la réalité de la vie de la marque.

 

Quel autre conseil donneriez-vous aux entreprises qui se lancent dans leur transformation digitale ?

Je leur dirais de bien identifier quel est le bon moment pour passer la main à l’humain, et de définir avec quels éléments de contexte, c’est-à-dire les informations récoltées par les dispositifs digitaux, tout en visant l’hyperpersonnalisation.

Il est essentiel de favoriser des stratégies bien pensées, pour proposer une relation client unifiée, fluide et sans couture. Une fois que la relation s’est passée, il faut penser à écouter avec une même fluidité, en restant sur le même canal, car c’est plus optimal.

Je dirais qu’il faut penser à tout mettre en cohérence, en étant orienté client, et en ayant une bonne culture client pour savoir quand digitaliser.

Enfin, je demanderais aux entreprises de ne pas oublier de mesurer la satisfaction et la qualité de service délivrée sur les canaux digitaux : le conseiller chat a-t-il bien répondu à ma demande ? Une demande simple et répétitive est-elle prise correctement en charge par du selfcare, type chatbot, ou FAQ ? Car en termes de relation client, il faut être soucieux de voir si les moyens d’interaction en amont permettent au final de désengorger le centre d’appel afin de positionner les conseiller sur des demandes complexes à forte valeur ajoutée pour le client et donc l’entreprise.